De la 6ème à la Terminale, durant 8 années, j'ai vécu mes plus belles années de collégienne puis de lycéenne à "Guez". Je me souviens du vertige éprouvé devant ce mastodonte de pierre, lorsque j'arpentais la première fois ses couloirs. Il y avait plusieurs cours, celles des maronniers, puis celle du foyer et celle qui menait au réfectoire. Tout près un stade pour s'initier aux sports collectifs. Plus loin, en équilibre précaire tels des châteaux de cartes se trouvaient les pré-fabriqués où l'on apprenait l'anglais. Ces classes dont les toits menaçaient de s'envoler au moindre coup de vent. Ces petites cages aux poules ouvertes sur les ruelles pavées d'Angoulême. La rue de Beaulieu, puis celle du Minage, ces rues froides et grises car privées de soleil où l'on pouvait croiser les retraités de l'ancien couvent.
Ma mémoire n'a retenu que l'essentiel. Celles des années où l'on se forge une vraie personnalité : rayer de son vocabulaire le "par coeur" et apprendre à penser par soi-même. Les rédactions ont laissé, peu à peu leur place aux dissertations. Merci à nos vaillants professeurs que je n'ai pas oubliés.
Aujourd'hui en écrivant ces lignes, je revois la fillette, aux longs cheveux nattés, sourire à la jeune femme coiffée à la Jeanne Mas.
Aujourd'hui, la femme, la mère de famille observe avec bienveillance et un brin de nostalgie la collégienne et la lycéenne. Il y a peu de temps, les hasards de la vie m'ont fait prendre contact avec ma meilleure amie de ces eighties. Elle travaille dans le lycée qui l'a vu s'émanciper. Quant à moi, je rêve un jour de m'installer dans la cour des maronniers et signer un recueil que j'aurais écrit...
Je remercie Jean-Jacques Motard Président de l'Antenne Parisienne de l'Amicale des Anciens et des Anciennes Elèves du Lycée Guez de Balzac d'avoir fait le lien entre le passé et le présent.
J'ai reçu avec grand plaisir le bulletin annuaire (Notre BAHUT 2011*) de la Société Amicale des Anciens et Anciennes élèves du lycée d'Angoulême.
Je n'ai pas boudé mon plaisir d'y retrouver un de mes textes dont le héros est une figure emblématique de notre chère ville d'Angoulême : le Shérif.
C'est un article consacré à cet homme dont "On" a cru bon d'enlever la seule raison de son existence qui m'a inspiré cette fiction. "On" a jugé que cet octogénaire ne devait plus arborer son costume de représentant de l'ordre. Angoulême a perdu son âme, seule une ombre voûtée hante les murs de la ville.
***
Fanny et Henri
Circuit des Remparts 2008 © photo Michel Charles |
Place du Champ-de-Mars, Angoulême city, un samedi après-midi. Fanny joue des coudes parmi les badauds et les skateurs venus se retrouver sur cette grande dalle en béton. Arrivée la veille de Paris, elle est un peu désorientée par la nouvelle physionomie de sa ville. Un rapide calcul mental, elle se rend à l’évidence : dix années d’absence entraînent immanquablement des changements urbains. Elle est devenue une étrangère dans la ville qui l’a vue naître et grandir. Cette vaste étendue de ciment ressemble à une triste plaine, peu égayée par les néons d’enseignes commerciales. Le Cattleya a essaimé ses fleurs aux quatre vents et L’Ecume des jours s’est évanouie dans les vapeurs d’une autre époque. Ses repères ont disparu. Elle hausse les épaules, il faut vivre avec son temps. Madame Nostalgie ne lui gâchera pas ses quelques jours de vacances. Fanny décide de presser le pas. Au bout de la place, près de la Grande Poste, un homme actionne un orgue de Barbarie. Le cœur de Fanny bat plus fort, elle aime cette musique. Elle en oublie la circulation, un crissement de pneus la ramène à la réalité, une voiture a stoppé pour l’éviter. Elle trébuche et rejoint le trottoir qu’elle n’aurait pas dû quitter.
C’est un homme âgé, de taille moyenne, qui l’a aidée à traverser en lui prenant la main. Son visage ne lui semble pas inconnu ; elle l’observe en remettant un peu d’ordre dans ses idées.
Elle lui propose un café qu’il accepte volontiers. Attablés au comptoir d’un cinéma transformé en bar, ils s’observent mutuellement. Un rayon de soleil illumine la salle et se reflète sur le zinc.
Fanny a un flash. Cet homme qui l’a interpellée quelques minutes plus tôt, c’est lui qu’elle croisait tous les matins avant d’aller au collège, quartier de la Cathédrale.
Le regard de son sauveur pétille, il s’aperçoit qu’elle le reconnaît. D’une main tavelée, il remonte le col de sa veste.
- Tu te souviens de moi ? On m’appelle encore le Shérif, même si je n’ai plus d’étoile depuis longtemps. Je l’ai perdue, disparue, envolée ! Je continue toujours mes promenades, tu sais ? Mais à plus de quatre-vingts ans, j’ai moins d’allant ! Je ne perds pas espoir de participer cette année au circuit des remparts. Mais à ma façon.
Le shérif sirote son petit noir.
Fanny sent l’émotion l’envahir. Un pan de son histoire dans la ville surgit de sa mémoire. Des interrogations brûlent ses lèvres. Elle souhaiterait en savoir davantage sur la vie de cette figure emblématique d’Angoulême, mais n’ose l’interroger. Par pudeur.
Et puis, on ne cuisine pas facilement un représentant de l’ordre ! Il faut avoir le sens de la hiérarchie ! Le shérif devine l’attente de la jeune femme. Clairvoyance et bon sens dus à l’expérience de la vie, sans doute. Une vie qui ne lui a pas fait de cadeau : sa famille, il ne l’a pas connue. Le shérif, c’est Henri Faurie pour l’état civil. A la maison située à Beaulieu, on l’appelle aussi Jacques. Fanny apprend qu’il habite l’ancien couvent, abri des indigents, depuis plus de vingt ans. Un parcours de plats et de bosses, comme celui d’un coureur cycliste. Orphelin parisien, il avait été placé, juste après guerre, dans une ferme à Nersac. Il livrait le lait à bicyclette aux épiceries des alentours, pédalant comme un coureur. On l’appela Robic, comme le premier Français vainqueur du Tour de France après guerre. Henri ou Jacques faisait la circulation pendant les courses cyclistes du canton, avec ses petits pistolets en plastique. Même si les insignes ne font pas la fonction, cet homme au dos voûté par les années inspire une grande sympathie ; la jeune femme se souvient des railleries des collégiens sur son costume d’opérette. Plus taquins que méchants les copains...
Henri semble gêné maintenant, comme s’il avait trop parlé de lui … Elle lui dit qu’elle ne l’a pas oublié, parle d’elle, de sa vie à Paris, de son souhait de revenir par ici.
Il se fait tard, « Henri-Jacques » ne veut pas qu’on s’inquiète pour lui là-bas. Fanny se lève la première et se penche pour embrasser l’octogénaire. Pour une fois, il ne regrette pas d’avoir laissé son uniforme au vestiaire, car en service il n’aurait pas été certain de pouvoir lui faire la bise. Il a dit cela comme par coquetterie, d’une petite voix flûtée.
La place du Champ-de-Mars est maintenant déserte. Les skateurs sont rentrés chez eux, un camion à pizzas remplace le musicien et son orgue. En partant, Fanny se retourne, une dernière fois, vers le Shérif. Il a déjà disparu, peut-être parti pour une nouvelle mission…
© Maryline MARTIN Mai 2010
6 commentaires:
BravOOO Mary ! Ta plume me plait toujours autant, ton style est impeccable, je suis toujours autant fan !
Merci Cynthia ! C'est très gentil :) Patiente encore un peu, peut être que l'année prochaine sortira un nouveau recueil ;)
Je viens de te lire. Bravo mon AMIE, ma lady.
Moi aussi j'attends avec impatiencee de te lire plus longuement dans un recueil.
Je t'ai lu ce matin....par l'intermédiaire de Fabien, toujours en Nouvelle Zélande qui m'a envoyé un e.mail. Il n'a pas eu de souci avec le tsunami suite au dramatique tremblement de terre au Japon et hélas tout n'est pas fini.
La population Néo-Zélandaise avait été prévenu, avec les consignes d'usage. Mais comment lutter contre ces éléments ???
BIZZZZZZZZZZZZ de ton amie girondine.
Merci Ma chère Pierrette, ton passage ici me touche beaucoup. Je vais t'envoyer un texte tout bientôt édité dans une chouette revue :) bises de nous tous ;)
Joli texte Mary, bravo d'avoir si joliment rendu hommage à ce personnage haut en couleurs de notre chère Angoulême ! J'étais à "Marguerite" moi, mais je me retrouve dans tes souvenirs de "Guez".
Bonjour Nathalie, oui c'est une mémoire collective et le Shérif d'Angoulême est notre point de repère de nos années lycées , les plus belles avec du recul ! Merci pour votre lecture :)
Enregistrer un commentaire