dimanche 24 avril 2011

Le Chemin de Poussière Philippe LEMAIRE



Sarah Hamani n'oubliera jamais ni le cri des mouettes ni le son déchirant de la sirène du bateau qui les emmène elle et sa famille loin d'Alger. 1962 pour les pieds-noirs chassés de "leur terre", c'est l'année de la déchirure. Quelle existence peut-on bien mener dans une région nouvelle, lorsque les repères s'effacent et que les illusions se perdent ? Les Hamani s'établissent dans le Sud de la France : une nouvelle vie s'organise alors autour de la plantation de misère dont Simon, le chef de famille, devient le métayer. L'installation dans cette "vie étrangère" se fait sous le jour d'une indifférence hostile : la maîtresse de maison, Jeanne, se sent rejetée ; quant au vieux père Jacob, il n'admet pas qu'on puisse abandonner ses morts... Pourront-ils reconstruire sur cette nouvelle terre de vigne ?


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Une jeune femme, Sarah Hamani, revient dans le village de Malagas où elle s’est établie quelques années plus tôt avec sa famille. Expatriée d’Algérie, elle avait trouvé refuge avec ses parents et son grand-père Jacob sur cette terre vinicole. Si les plus jeunes font contre mauvaise fortune bon cœur et tentent de réapprendre à vivre, l’exil est insupportable pour le vieil homme. En quittant Ikedjane, il ne laisse pas seulement sa boutique de musique située rue de la Lyre il abandonne également « ses morts ».

« Mais je ne pourrai plus jamais aller sur la tombe de Suzanne. Ne plus pouvoir parler à ta grand-mère, je crois que je ne saurai jamais le supporter… »

C’est peut-être ce qu’il y a de plus dur dans l’exil, l’absence des voix. (…). C’est d’abord cela l’exil, le silence des jours qui s’écoulent. Et à mon âge, je n’aurai pas le temps d’apprendre à d’autres à me supporter."

Arrivés en France, la famille a pris conscience de sa différence. Ils parlaient fort et leur accent faisait chanter les consonnes et sonner les muettes. Ils n’étaient que des émigrés dont on se méfiait. Il y aurait désormais deux pays, celui qu’ils avaient laissé embelli par la lumière des regrets et l’autre, le réel avec ses jalousies et ses mesquineries. Celui qu’il faudrait apprivoiser pour y reconstruire sa vie.

Une vie dont on ne pouvait sectionner les racines aussi facilement. Jeanne, la mère de Sarah, ne pouvait s’y employer.

« La cuisine était devenu une sorte de lieu clos où elle retrouvait pêle-mêle les odeurs et des gestes de son propre passé (…). L’odeur avait rempli la pièce de bonheur et épicé leur mémoire à tous »

Malheureusement, la peur de l’autre, la haine et la bêtise humaine aura raison de la volonté des Hamani à se faire une respectabilité dans le pays. Simon est métayer sur une terre de misère où le produit de la vigne file à la coopérative et où chacun trouve son compte. On voit d’un œil mauvais qu’il veuille s’affranchir en achetant un coin de terre dont ne personne ne veut pour y faire son vin.

Un bras de fer va alors commencer. L’actualité de là-bas, leur colle à la peau comme un vêtement mangé par la sueur.

« On leur tend la main et ils vous bouffent le bras. (…) On les accueille et ils n’ont même pas la reconnaissance du ventre. Ils auraient mieux fait de rester là-bas dans leurs gourbis…

« A chaque nouvelle bombe qui explosait dans les rues d’Alger ou d’Oran, on les regardait comme si c’était eux les coupables »

La famille Hamani ne résistera pas. Jeanne la femme de Simon a décidé de s’enfuir et de rompre avec le poids des traditions. On l’avait chassé de son pays mais paradoxalement, elle s’est affranchie d’un mariage de convenance entre deux familles selon les traditions. Sarah, sur les traces de sa mère, a suivi son amoureux avec lequel elle aura un enfant. Jacob et Simon restent face à face avec leur solitude et le poids des regrets aussi.

« Sûr qu’il aurait mieux fait de rester chez lui si c’était pour finir comme ça. En fin de compte, il était trop différent de nous, la greffe ne pouvait pas prendre. »

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Un très beau livre sur la diaspora Algérienne qui vous prend aux tripes. Philippe Lemaire emmène le lecteur sur les pentes arides de deux pays en colère. Le leitmotiv " La valise ou le cercueil " résonne en écho des deux côtés de la Méditérranée. Personne ne saura jamais combien la guerre aura brisé de famille mais la volonté farouche de renaître tel le phénix de ses cendres sera la plus forte...


Editeur : Editions De Borée
Parution le : 11 Février 2011
ISBN : 978-2-8129-0299-4
EAN13 : 9782812902994

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