dimanche 2 janvier 2011

Mamie Mémoire



Né à Quimper, Hervé Jaouen est reconnu à ses débuts, en 1979, comme l’un des maîtres du roman noir français. Il est aujourd’hui l’auteur d’une trentaine de titres, romans, livres pour la jeunesse, notes de voyages, couronnés par de nombreux prix. Plusieurs de ses ouvrages ont été adaptés à la télévision.


" A la mamie de mes amis qui a inspiré les jolis traits  et les meilleures répliques de la mamie de ce roman"



Depuis quelques temps, Mamie a des distractions ; elle perd de menus objets, elle oublie une casserole sur la cuisinière... Le médecin consulté est hélas formel : il s'agit de la maladie d'Alzheimer. La mémoire de Mamie est comme les feuilles d'un arbre, elle s'éparpille de saison en saison, se perd. Alors toute la famille entre dans le jeu : il faut stimuler la mémoire de Mamie, l'aider à en rassembler les fragments, à se souvenir des sourires et des visages, des lettres d'amour et des gestes de tous les jours... Il faut aussi la surveiller pour que toutes les petites cuillères ne finissent pas sous son matelas, la persuader que la guerre est finie, quitte à agiter de petits drapeaux bleu blanc rouge en criant : "C'est l'armistice !", la border quand elle redevient petite fille... Une chronique familiale chaleureuse et pudique, qui aborde avec humour et tendresse un sujet grave.

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[EXTRAIT]
Avant, je ne remarquais pas les changements de saison. Avant ? Quand j'étais petite fille et que les saisons étaient rythmées par les jeux, les furieuses envies de jouets neufs, les achats de vêtements et de chaussures à la mode, le spectacle de l'école de danse, les anniversaires... Accessoires, soumises à mes désirs, les saisons n'étaient qu'une toile de fond sur laquelle se détachait ma précieuse petite personne. Enfant, on ne pense qu'à soi. Et puis un beau jour le décor s'anime, l'univers se met à exister à vos yeux, et vous dégringolent sur la tête tous les malheurs du monde, qui vous oppressent le cœur. C'est probablement cela, grandir.




Hier encore - façon de parler, hier : l'année dernière - je n'aurais pas su écrire de l'automne que cette saison balbutie, qu'elle hésite entre l'été et l'hiver, comme on hésite entre mettre ou enlever un pull. Et puis soudain, un dimanche, après que la tempête a soufflé pendant une semaine entière, vous rendant sourde et aveugle, le froid vous saisit. C'est un soleil pâle qui éclaire maintenant votre lucarne. Des raclements sur le toit vous intriguent. C'est papa qui nettoie les gouttières engorgées de feuilles mortes. Comment se peut-il que vous ne vous souveniez pas avoir vu ces feuilles s'envoler ? Frissonnant dans votre chemise de nuit, vous soufflez sur la vitre. Elle se couvre de buée et les peupliers déplumés, au fond de la prairie, semblent se diluer dans l'air comme un trait d'encre sur du papier buvard. Vous songez alors à votre mamie et une idée saugrenue vous vient à l'esprit. Mamie est un arbre et les feuilles étaient sa mémoire. La maladie les a détachées, comme les feuilles d'un éphéméride se détachent et s'envolent, dans les vieux films en noir et blanc, pour bien vous faire comprendre que le temps s'est enfui.




C'est un livre que j'ai adoré. Il aborde avec beaucoup de sensibilité et aussi d'humour  un sujet grave :  la maladie d'Alzheimer. Cette Mamie est touchante et la famille qui l'entoure est assez bienveillante à son égard. Assez, car comme dans toutes les familles, il y a des membres animés plus par la cupidité que par la tendresse. Mamie a eu deux maris et deux enfants. Un fils et une fille. Si le premier  préfère vendre la maison de mamie, et sa belle fille placer sa belle-mère dans une pension pour personnes âgées. La deuxième décide de prendre sa mère à demeure et avec l'aide de son mari et de ses enfants, stimuler la mémoire de la vieille dame.
Mamie ne sait plus faire la différence entre l'été et l'hiver, entre sa propre maison et celle de ses voisins. Quand elle regarde la télévision, elle pense que les personnages s'adressent à elle. Elle oublie le présent et se réfugie dans le passé. La mémoire de mamie est comme un damier avec des miliers de petites cases éclairées reliées entre elles par de minuscules fils électriques. Le problème de mamie est que les cases pâlissent les unes après les autres et s'éteignent doucement.Toutes ses confusions confèrent à Mamie, un côté amusant mais à la fois triste.
L'ambiance est parfois surréaliste ce qui empêche le roman de sombrer dans le pathos sans édulcorer l'inéluctable. A la fin du livre, Mamie n'est plus ni dans le présent ni dans le passé seulement dans l'instant et ne se nourrit que de petits pots.

Un roman plein d'humanité.












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